*Le miroir est brisé, éparpillé, écartelé. Le sang a coulé chaudement sur les pavés. Rougeoyants nous nous sommes déversés, écroulés. Dans un dernier souffle nous nous sommes disloqués. Percer, percer nous avions tentés. A plusieurs reprises mais cela échouait. Encore il le fallait pour devenir encore plus forts. Des mains d’un autre il fallait tracer ce sceau. Dans la peau l’aiguille a pénétrée et dans l’âme elle nous a tués. Jumeaux nous le fûmes de la naissance à la mort.

Mais ils ont dit que je n’ai pas saigné. Tous, similaires mais différents. Celui qui se disait père ne nous a pas sauvés mais il s'est dévoué à son métier. Pourtant soigneur il était, soignés il ne nous a pourtant pas soignés. Tués nous fûmes tués. Celui qui se disait père veut nous tuer, voir le sang chaudement couler, sur les pavés, rougeoyant se déverser. Changé il avait changé, quelqu’un sa place avait pris avant de s’évaporer. Et de nous traquer, traquer ce qui reste de nous, changeant de visage au grès du temps. Tous ils sont tous dangereux, les tuer il le faut pour trouver le coupable, coupable qu’il faut écorcher pour venger. Venger le sang. Venger la piqûre, venger la déchirure. Tuer il faudra tuer.*

Morgan était un garçon timide, un peu trop peut-être, cela aurait dut mettre la puce à l’oreille à son père. Mais il se déresponsabilisa, remettant les torts sur l’académie. Non son fils n’était pas né ainsi, il devait juste vivre dans l’ombre de la joyeuse fleur qu’était sa fille.

Et pourtant dès le début ils étaient étranges. Toujours ensemble à chuchoter. Quand l’académie les enleva ils ne pleurèrent pas la séparation avec les parents mais enfreignaient le règlement pour être constamment ensembles. Ils parlaient peu mis à part en chuchotements et se comprenaient grâce à un langage codé très élaboré. Beaucoup pensaient que c’était par télépathie mais par de rares observateurs parmi leurs aînés leur subterfuge était apparent bien compréhensible. Ils avaient développé un langage de geste discret. Chaque parcelle de leurs peaux représentant une idée abstraite.

En apparence les deux enfants étaient similaires, si similaires qu’ils faisaient entrer leurs voix en échos, imitant parfaitement le timbre l’un de l’autre au point où personne ne sut jamais quelle était la voix de Morgan et quelle était la voix de Delya. Si leurs parents avaient mis un point d’honneur à les différencier dans leurs prénoms, ils se refusaient toujours d’être différenciés, répondant en cœur à chaque fois qu’un de leur nom était évoqué.

Evidemment on les sépara durant des cours mais ils devenaient alors silencieux comme des tombes. Affichant la même mine figée. Aucun commentaire, aucun énervement ou compréhension ne put les dissuader d’agir ainsi. Ce n’était plus de la fusion, c’était un refus catégorique de ne pas être unique.

Et lorsque Delya fut dans sa tombe, Morgan mourut aussi. Son nom se disloqua, partant en poussière. Jamais plus il ne répondit à l’un ou à un autre. Seul dans un soupir il se nomma Vreemd. Et là sa véritable nature éclata. Cet enfant qui passait des heures à chuchoter seul, qui se pensait mort, qui ne savait plus lequel des deux était morts ou encore si sa sœur était morte. Il pensa durant longtemps que son père n’était pas son père mais un sosie puis fini par finalement accepter que ce fût son père pour penser cela d’autres personnes. N’acceptant pas la terrible vérité il fut convaincu qu’il avait été possédé par un individu maléfique, un dieu du mal et que ce dieu du mal pouvait incarner n’importe qui dans son entourage. Et donc pour l’atteindre il faudrait tuer quiconque semblait possédé, soit pour retrouver sa sœur qui avait été enlevée soit pour la venger…A moins qu’il soit mort lui alors il devrait retrouver son frère ou le venger… Il ne savait plus mais il agissait cependant dans le but de réparer leur mort.

*Blonds, maigres, les même nous sommes les même*

Vreemd possède des cheveux blonds mi- longs qu’on l’oblige à couper dès qu’ils deviennent trop long. Sans doute que les mages pensent qu’il se différenciera mieux de sa sœur ainsi. En effet ce ne sont pas ses traits restés fins qui aident. Beaucoup le qualifient d’ailleurs d’androgyne. Ce n’est que son torse plat qui brise l’illusion. Mais de toute façon dans ses souvenirs sa sœur aussi avait le torse plat, donc cela ne le met pas mal à l’aise.
Ses yeux gris sont toujours tristes ou sans expression. Jamais un sourire ne s’esquisse sur ses fines lèvres. Et s’il n’était pas obligé de manger il serait sans doute déjà tombé d’inanition. Pour ses habits, il se contente de ce qu’il a, de ce qu'il trouve une fois ses précédents usés et ne se soucie pas du temps extérieur pour s’y adapter. A vrai dire même lorsqu'on le voit, une étrange aura semble émaner de lui. Comme si tout son être hurlait son étrangeté.

*Deux nous étions deux. Mais dans notre cœur un on était. Puis un jour des messieurs sont venus. De magie ils ont parlé. Magiques nous étions magiques. Et à la tour nous sommes allés. Tout était bien tout était mieux. On nous séparait cependant trop souvent bien trop souvent alors on eut un plan. Ensemble pour toujours il fallait. Nous relier. Ensemble. Coudre nos veines. Ensembles

Mais raté nous avons raté. Déchiré nous nous sommes déchirés. Coulé le sang a coulé et tués nous fumes tués. Il avait pris notre place. Le diable, la mal en nous s’était immiscé. Pour nous tuer.

Ils ont voulu nous écarter mais dans l’ombre un a insisté. Tel un secret il fallait nous garder. La vérité ne pouvait pas être révélée. Trop risqué ce serait de savoir que nous avions été tués par le mal. Alors on est resté. Enfermés, incapable de venger. Notre mort serait pourtant vengée un jour.

Méchants leurs regards sont devenus. Le mal ils pensaient que nous étions. Alors que nous n’étions que la mort. Parfois la méchanceté se parait de pitié mais tous pensaient que nous nous étions tués. Seul un ne disait rien. Son regard éteint il semblait. La vérité il savait certainement. Traquer le mal il pourrait traquer. A moins qu’il l’aide. De méfiance il faudrait se parer*

Il y a de ça de longues années, c’était l’hiver et les temps étaient durs. Pourtant deux petites bouilles réchauffèrent le cœur des pauvres fermiers dont ils complétèrent la famille. Ils ne mangeraient sans doute plus à leur faim mais au moins ils auraient des têtes blondes pour leur arracher des sourires même par des temps de famines.

Mais lorsqu’ils eurent six ans et qu’on les leur arracha pour l’académie, ils n’hésitèrent pas. La compensation financière tombait à pic et les enfants auraient la belle vie. D’ailleurs ils ne versèrent pas de larmes. A vrai dire les jumeaux semblaient s’en ficher.

A l’académie ils restaient toujours collés l’un à l’autre, parlant peu voire jamais à autrui sauf d’une voix commune. Ils étaient étranges mais ce n’était que des enfants. Ils n’étaient d’ailleurs encore que des enfants quand Delya eut une idée. Elle avait lu ça dans un des nombreux livres de la bibliothèque, cela devrait marcher.

A l’aide d’une aiguille il fallait qu’ils tissent un lien magique entre eux. Que cela soit écrit dans un conte importait peu. Et ce serait l’âme de celui qui tisse qui se lierait au corps de l’autre. Cela marcherait. Il devait la croire. Ainsi, une aiguille de tissage à la main, Morgan approcha celle-ci de la peau de sa soeur. Elle insista, lui disant qu'ils n'avaient pas le choix, que c'était à lui de le faire et qu'il devrait continuer malgré le sang. Lorsque l'artère fut percée, le sang gicla et Morgan pris peur un moment. Voyant qu'il perdait sa soeur il se dit qu'il fallait peut être la liée à lui autrement. Il transperça sa gorge, son coeur, et beaucoup d'autres endroits de son corps mais rien n'y fit. Finalement on les retrouva tous deux allongés comme morts, baignant dans le sang au milieu de la chambre de Delya. Ils paraissaient tous deux morts mais les yeux rivés sur le visage de sa soeur le garçon respirait encore.

Ignorait t’elle vraiment les conséquences ? Et lui ? Était-ce un meurtre déguisé ? Un suicide masqué ? Personne ne le sut vraiment. Mais on voulut renvoyer le garçon. Un archimage s’y opposa, un certain Keola, il appuya que ce n’était qu’un enfant. Un enfant qui avait perdu la personne la plus chère à ses yeux, un enfant brisé et dérouté. Un enfant qui avait fermé les yeux et qui chuchotait en litanie des mots dans une langue inventée que plus personne ne comprenait.

Un enfant sans repères, un enfant qui était sans doute déjà malade avant. Il n’était pas le fautif, c’était l’académie qui avait manqué de discernement et mieux valait le garder en son sein afin que ça ne se réapprenne pas. On parlerait d’un épuisement ou n’importe quoi mais on cacherait la vérité. Et le jeune Morgan serait gardé enfermé dans la tour, ayant droit à de rares sorties encadrées pour ne pas le rendre plus fou que ce qu’il n’était déjà. Par contre il ne pourrait pas continuer l’enseignement de la magie : il était trop instable pour cela.

C’est donc enfermé dans la tour que Vreemd passa ses huit dernières années. Un temps long, si long qu’il en perdait même le court. Seul un détail l’occupait de temps à autre, un certain Silverstorm qu’il aimait espionner et suivre lorsqu'il était à la tour. L’indifférence de ce dernier l’intriguait. Il savait forcément quelque chose… mais quoi ?