Psychologie & Physiologie
Satice Drolus n’est pas une femme remarquable de par son apparence. Dotée d’un physique presque banal, elle se montre suffisamment coquette et raffinée pour attirer l’œil mais c’est souvent pour étaler sa renommée ou son aisance financière. Son délicat prénom annonce une femme tout aussi délicate. Une grâce sensuelle, très précieuse, marque chacun de ses mouvements. Elle se déplace avec la fluidité du serpent vigilant mais se vêt à la manière d’une jolie fleur. Elle a le parler traînant, désinvolte voire dédaigneux. Sa taille un peu petite et ses gestes graciles ne la rendent pas plus docile. Elle sait ce qu’elle veut et fera tout pour l’obtenir. Légalement. Dans le respect d’autrui. Mais elle l’aura. Sa douceur apparente n’est pas qu’une illusion. Elle participe néanmoins à duper ceux qui voudraient la rabaisser ou qui se croiraient meilleurs qu’elle. Satice n’est pas une femme qu’on doit prendre à la légère.
Souvent d’humeur égale, elle aime les petits plaisirs de l’existence. Assez matérialiste, elle tient beaucoup à
La Merveilleuse, à sa réputation et au nom des Drolus. Sa famille a le commerce dans le sang et elle a pleinement hérité de ce gène. Consciente et fière d’être une négociante efficace, elle peut se montrer hautaine et méprisante avec ceux qui la dédaignent ou qui se moquent d’elle. La magie qui coule dans ses veines étant faible, elle se repose très peu sur ses pouvoirs et beaucoup plus sur son intelligence. Génie des chiffres et marchande très sociable, voire bonne vivante, elle sait comment gérer un client hésitant ou un fabriquant capricieux. Elle est marchande avant d’être femme. Ses grands yeux de biche, d’une belle couleur violine tirant sur le bleu sous le soleil, ne mentent pas. Pas plus que sa petite bouche charnue. Satice a en horreur le mensonge : c’est une excuse de faibles. Il est bien plus valorisant de convaincre par la force des mots. C’est ainsi que l’on reconnaît les plus talentueux négociants.
Sous ses dehors de fille bien élevée, avec ses formes discrètes et sa longue chevelure sombre ourlée de reflets améthyste, il n’est en vérité rien de plus dangereux que d’essayer de tromper Satice Drolus. La jeune femme peut être revancharde, extrêmement rancunière et faire démonstration d’une colère formidable. Très professionnelle et d’un naturel agréable dans le quotidien, elle se transforme en un animal féroce – et susceptible - lorsque son commerce ou ses sentiments sont remis en question. Vive et sévère, elle a pour habitude d’électrocuter – avec dose non mortelle – les voleurs, les mauvais payeurs et les hommes trop entreprenant grâce à une de ses rares inventions : des gants de soie sauvage, blancs, qui remontent presque jusqu’aux coudes et qui sont marqués de runes dans la paume. Par simple contact, Satice peut choisir d’électrocuter la personne qu’elle touche en prononçant le mot « fulgere » : la foudre. Une arme redoutable pour dissuader les gens de trop l’agacer.
Biographie
Satice Drolus, telle que vous la connaissez désormais, n’existait pas une vingtaine d’années auparavant. Elle apparut enfin, au regard du reste du monde, tel un joyau brut, sitôt empoché son titre officiel de membre de l’Ordre des Mages. Ainsi naquit cette femme peu banale qui hante les rayonnages de
La Merveilleuse, cette immense bâtisse au plafond lambrissé, aux lustres éclatants, haute de plusieurs étages et protégée par diverses runes dont le sens échappe aux badauds.
La maîtresse toute-puissante de la boutique de magie n’aime guère parler de sa vie d’avant… Avant tout cela. Née dans une respectable famille marchande, les Drolus de Tilesse, elle était la première fille du couple mais pas la dernière. Carline, car ainsi se nomme la benjamine, la dépassait de loin en grâce et en beauté. De santé plus fragile, elle bénéficiait également de toute l’attention parentale. Quant au fils aîné de la fratrie, Julian, il représentait le digne héritier de l’entreprise familiale. Le fils prodigue, qui accomplit son travail avec zèle et rêve de voir la fortune des Drolus lui tomber entre les mains. Enfermée dans le carcan des bonnes manières et de la place – indigne selon elle – de cadette dans la famille, Satice se révéla une enfant capricieuse, colérique, mesquine, arrogante et qui n’avait de cesse de réclamer de l’attention. A défaut d’être invisible, elle fut invivable pendant longtemps. Ses seules passions résidaient dans les farces – tantôt malicieuses tantôt cruelles – et dans les livres de comptes de son père. Jehan Drolus, loin d’être aveugle, sut stimuler la curiosité de sa fille pour le négoce. Pour assagir cette petite harpie, il lui montra les coulisses de sa profession. Voir l’admiration et l’ambition dans les yeux de Satice à l’évocation du prix fluctuant du textile sur le marché, du fonctionnement des manufactures, de la construction de navires parcourant les rivières de tout l’empire pour faire transiter les précieuses cargaisons, de la meilleure façon de déterminer si une étoffe ou une couleur est de qualité… Cela n’avait pas de prix.
Au grand dam de sa mère, Istella Drolus née Varma – autre famille marchande de Tilesse de plus petite importance -, Satice s’enferma dans les livres, les étoffes et les pigments. Elle avait le commerce dans le sang. A l’âge de douze ans, cependant, ses rêves prirent un tournant radical. Des phénomènes inexpliqués se produisaient souvent en sa présence et ce, depuis son plus jeune âge. Mais personne n’aurait pu imaginer que l’insupportable gamine pourrie gâtée puisse être bénie par la magie. Un mage se présenta à la porte des Drolus un matin. Suite à quoi, Satice quitta la demeure familiale pour entrer dans la Tour et y recevoir un enseignement qui dépassait l’imagination. Elle se révéla être une piètre arcaniste – pour ne pas dire incompétente. Loin d’être faible et dépourvue d’inventivité, il était clair aux yeux de tous que son talent était médiocre et que la magie n’était pas son domaine de prédilection. Son caractère exécrable mit du temps à disparaître, même si pas complètement. Elle se fit peu d’amis véritables durant son apprentissage mais elle savait attirer à elle les personnes d’exception. Elle entreprit pendant un temps de faire le commerce de certaines runes à ses camarades de dortoir avant de se faire sévèrement punir.
Elle réussit toutefois – au bout de plusieurs années – à décrocher son titre de mage. Elle ne voulait pas revenir dans sa famille. Le prochain chef négociant des Drolus serait son frère. Ouvrir un commerce à son nom reviendrait à être sens cesse comparée à la grande famille marchande des Drolus de Tilesse. Il fallait qu’elle prenne de la distance et qu’elle commence en bas de l’échelle. Ses frasques d’antan ne l’empêchèrent pas de se trouver une situation confortable en tant qu’assistante du précédent directeur de La Merveilleuse. Cette boutique de magie – vendant divers services et conseillant sur les objets destinés à améliorer la vie quotidienne – était déjà réputée à Tilesse et dans le milieu aristocratique. Satice voulait l’ouvrir à un public plus large. Pour cela, il fallait optimiser la communication et le rendement. Des innovations qu’elle proposa à un directeur frileux et timoré, qui se laissa peu à peu convaincre par quelques idées. Elle mit également au service de la boutique ses qualités relationnelles. Loin d’être hypocrite – ou assez peu -, elle savait comment parler aux gens, quels mots employer pour persuader, quels artifices déployer pour épater la galerie. Des artifices qu’elle utilisait jadis sur ses parents en espérant que ses caprices ne soient satisfaits. La concurrence était rude avec l’Académie des Inventeurs. Leur influence grandissante fit naître la jalousie et l’hostilité dans l’esprit de ses pairs. Satice elle-même ne déteste pas les inventeurs : elle s’en sent trop proche par certains aspects car elle-même ne se distingue pas vraiment par sa pratique de la magie. Elle compte davantage sur son intelligence. Elle continua de créer quelques runes et quelques objets arcaniques mais elle préférait davantage évoluer au milieu des clients et des chiffres.
Au fil du temps, on commença à reconnaître son efficacité. Satice Drolus se faisait un nom. Elle garda peu de contact avec sa famille. Julian et Carline se marièrent, eurent des enfants. Jehan Drolus tenait l’entreprise d’une main de fer dans un gant de velours. Istella envoyait de temps à autres des lettres à sa fille, pour l’inviter à dîner à la maison. Satice se laissa convaincre. Plusieurs fois. Mais elle ne supporta jamais le fait que sa mère veuille la marier à tout prix. De plus, qui voudrait d’une arcaniste sans talent et sans fortune pour épouse ? Aucun intérêt. La jeune femme elle-même entretenait une correspondance plus ou moins assidue avec un homme des îles, mage arcaniste lui aussi et un peu pirate sur les bords, rencontré au cours de son apprentissage. Mais elle déchira toutes ses lettres lorsqu’elle sut qu’il était un amant volage et qu’il l’avait déjà trompée plusieurs fois. Elle pleura souvent, le soir, en priant pour qu’il soit emporté par les harpies…
Quand enfin, avec un soupçon d’impatience et de chagrin, maître Ran quitta ses fonctions de grand directeur et gérant de
La Merveilleuse, l’Ordre donna l’entière gestion de l’échoppe à Satice Drolus. De quoi faire rêver la petite fille qui voulait devenir négociante en tissus. Cela fait dorénavant six ans que la jeune femme gère d’une main de maître la boutique, en faisant son royaume. Elle connait tous les rayonnages par cœur, peut y retrouver n’importe quoi n’importe quand. Ses appartements sont situés sous les combles de la grande bâtisse, dans un lieu aménagé par ses soins dans tout le confort appréciable pour une bourgeoise – du temps de sa jeunesse – adepte de la magie. Les récents événements ne lui ont guère plu. L’arrivée des Terriens la laissa pantoise. Si les ecclésiastiques et plusieurs confrères mages s’excitèrent sur le sujet en songeant à des sacrilèges ou à des forces de la nature venus rendre visite à de pauvres mortels… Elle-même ne sait quoi en penser. Les Terriens ne semblent être que des êtres humains ordinaires, s’ils sont dépouillés de leurs technologies. Elle s’en tint le plus éloignée possible dans un premier temps. Mais il n’est pas impossible qu’elle quitte son repaire et aille jeter un œil curieux du côté de l’Arche, maintenant qu’elle s’est bien implantée dans la Plaine de Turquoise. En revanche, la guerre civile en Féliona ternit son commerce au profit de la vente d’armes. La mort de l’Impératrice lui arracha néanmoins quelques larmes. Pas pour la personne en elle-même mais parce que ce sont toujours les femmes qui payent pour les horreurs des hommes.
***
Une plume d’oie gratta férocement le parchemin, rayant chiffres et noms d’objets avec un accent rageur, tant et si bien que la pointe de la plume manqua transpercer le page à plusieurs reprises. Un faible juron plus tard, la main délicate mais énergique qui tenait ladite plume s’apaisa et le frottement reprit plus calmement.
Satice Drolus, née dans la respectable et prospère famille marchande Drolus de Tilesse, inspectait l’état de ses finances en faisant la moue. Depuis la fin de la guerre civile en Féliona, la rivalité naturelle entre mages et inventeurs avait repris son cours habituel, tant et si bien que la Merveilleuse pâtissait de quelques dépenses supplémentaires pour redorer son enseigne. Satice avait entrepris quelques travaux pour réaménager un étage de la boutique ainsi que pour assainir les caves. Ces dépenses s’inscrivaient en lettres de feu dans son esprit à chaque fois que ses yeux fatigués se posaient sur la page en question de son dernier volume de comptes. Si les choses continuaient en s’améliorant, elle serait bientôt obligée de prendre un apprenti pour l’aider à gérer la boutique, comme elle l’avait fait à l’époque. Cette idée la rebutait. Elle s’estimait seule responsable de la Merveilleuse depuis le départ de du précédent propriétaire. Elle avait plus fait pour l’échoppe que n’importe lequel de ses directeurs de jadis. Hélas, il était fort probable que l’Ordre des Mages ne voit pas les choses de cet œil et lui mette dans les pattes sans hésiter un jeune blanc-bec à former…
Si elle possédait de manier les chiffres avec une précision redoutable, Satice peinait toutefois à songer à son rôle de mage. Arcaniste moyenne – voire médiocre -, ce n’était pas tant les idées qui lui manquaient mais le talent pour les réaliser. Un apprentissage long et fastidieux : voilà ce qu’on lui avait servi sur un plateau d’argent à la Tour. Ce n’était pourtant pas faute de s’entraîner ni d’obstination. Il existait peu de créatures pensantes sur cette planète qui soient aussi obstinée que Satice Drolus. Femme de caractère, droite et honnête – bien que revancharde et capricieuse dans le privé -, on ne dupait pas Satice. On ne promettait rien à Satice qu’elle ne soit sûre d’obtenir. On ne faisait pas croire n’importe quoi à Satice sans une preuve solide. La Merveilleuse incarnait son palais, son idéal : un lieu où elle ne serait pas jugée pour son manque de talent, un lieu où elle serait libre d’exercer ses véritables dons de négociante. C’était ici – et l’Ordre le savait bien – qu’elle représentait réellement une aide pour ses confrères magiciens. A la fois financière, promotionnelle et sociale.
La nuit tombait lentement en cette saison. Satice posa sa plume, se frotta pensivement les yeux et referma l’épais livre relié de cuir. Sa main, légère comme une feuille, passa au-dessus d’un globe luminescent à un coin du bureau et la lumière baissa en intensité jusqu’à plonger la pièce dans les ténèbres. Armée de son chandelier et de son carnet d’adresses – de clients comme de fabricants - qu’elle replaça soigneusement dans sa bibliothèque, cette femme de silhouette souple et presque fragile, de longs cheveux noirs aux reflets violets balayant son dos, se faufila dans le long couloir menant de son bureau jusqu’à sa chambre. Bien que n’étant ni noble ni très fortunée, elle jouissait d’un confort parfaitement appréciable. Son existence solitaire ne l’empêchait pas de s’amuser ni d’être appréciée. Sauf si l’on exceptait les déboires de sa vie amoureuse plus que chaotique…
Satice souffla la flamme, se délesta de sa robe de chambre et s’endormit, l’esprit emplis de chiffres et de merveilles, sitôt que sa tête toucha l’oreiller. Demain serait un autre jour.