HISTOIRE
1556 : Un soir d’orage dans une petite maison délabrée des bas-fonds de Tilesse, des vagissements se font entendre, couvrant presque le bruit du tonnerre. Un bébé prénommé Solyane est né, c’est une adorable petite fille à la peau sombre et à l’épaisse chevelure noire déjà doté d’une voix à faire trembler les murs. Sa mère la berce pour la calmer, puis le guérisseur l’emporte pour la baigner avant de la lui rendre. Apaisée, la petite cherche à téter et s’endort une fois repue. Elle ne voit pas l’expression d’impuissance affichée par la femme qui lui a donné naissance. Celle-ci s’endort peu de temps après, vaincu par la fatigue de l’accouchement et par l’immense tristesse qui l’envahit.
Le lendemain, la jeune femme attache un bout de tissu au poignet de sa petite fille, son nom écrit dessus, puis elle charge une de ses amies de la déposer à l’orphelinat, le cœur déchiré par cet acte d’abandon. Solyane ne connaîtra jamais sa mère.
La petite fille grandit donc auprès d’autres orphelins, sa vie est simple, ponctuée de jeux et de petits boulots pour aider à la vie de l’orphelinat. Elle sort souvent dans les rues sombres de Tilesse, se bagarre aussi malgré les réprimandes des tenanciers de l’orphelinat mais elle n’a pas le choix. Ici, les faibles ne s’en sortent pas, elle n’a que 6 ans lorsqu’elle voit son premier cadavre. Celui d’un enfant de dix ans, rachitique, les vêtements en lambeaux et la gorge ouverte. D’abord choquée, elle se promet que cela ne lui arrivera jamais.
L’orphelinat est pour elle un havre de paix, jusqu’à ce qu’on lui annonce quatre ans plus tard, alors qu’elle vient d’avoir dix ans, qu’elle doit partir car il n’y a plus de place et qu’il faut en laisser pour les plus petits. Elle a beau supplier, promettre de travailler plus dur, on la met à la porte.
Solyane est alors livrée à elle-même. Déambulant dans les rues sombres et malodorantes de la ville, elle voit des femmes peu vêtue qui cherchent à attirer les hommes, elle voit ceux-ci verser de coquettes sommes dans leurs mains avant de disparaître dans un coin sombre. Poussée par la curiosité, la petite fille les suit et réalise que son corps peut aussi être un moyen pour elle de gagner de l’argent pour subvenir à ses besoins. Mais l’idée de faire ce genre de choses l’écœure.
Elle avance, aussi furtive et discrète qu’un chat, personne ne la remarque, jusqu’à ce qu’une enseigne attire son attention. Elle se rapproche et lit ce qui est écrit sur l’épais panneau de bois « la Galante satinée ». Des femmes en sortent, mais celles-ci sont joliment habillées et coiffées, même si leurs vêtements ont plus tendance à mettre leurs atouts en avant qu’à les cacher. Intriguée, Solyane pousse la porte de l’établissement et change d’univers. La décoration est sommaire mais les lieux sont propres, un homme discute tranquillement avec la tenancière qui minaude jusqu’à ce qu’elle la remarque du coin de l’œil.
S’excusant auprès de l’homme, elle s’approche de la petite fille au visage quelque peu crasseux, aux cheveux gras et aux vêtements usés, l’observe, avant de mettre les poings sur ses hanches :
-Toi je parie que tu n’as pas pris de bain ni mangé depuis un moment. Viens que je m’occupe de toi. Tu as quel âge ? Treize, quatorze ans ?La petite fille n’avait jamais remarqué qu’elle était particulièrement grande. A l’orphelinat, elle était la plus grande des filles. Après avoir révélé son âge véritable, la femme l’entraîne à l’étage et lui fait prendre un bon bain, brosse ses cheveux et lui donne une robe toute neuve. Puis elle la regarde et sourit :
-Bien, je pense qu’on pourra faire quelque chose de toi. Jusqu’à ce que tu aies saigné, tu aideras à la tenue de la maison, tu seras mon assistante, cela te convient-il ? Pas besoin d’être devin pour voir que tu es orpheline. Quand tu seras plus grande, tu gagneras ta vie en travaillant pour moi, tu ne manqueras jamais de rien. Je t’en parlerai en temps voulu.
C’est ainsi que Solyane atterrit dans la maison close la plus reconnue des bas-fonds de Tilesse. Trois ans plus tard, elle fit ses premières armes et à quatorze ans, elle devint une vraie courtisane. Cela ne lui plaisait pas outre mesure, mais au moins elle avait un toit au-dessus de sa tête, des amies, et gagnait sa vie. C’était Soffia, la tenancière, qui gardait son argent, jusqu’à ce qu’elle en est assez pour pouvoir s’offrir une vie meilleure.
Pourtant, elle n’est pas à l’abri de tous les dangers. Le premier incident survient en 1570, alors qu’elle se promène au bras d’un de ses clients, des hommes les bousculent et l’un d’eux l’entraîne. Sa poigne de fer l’empêche de s’échapper. Ils marchent un moment jusqu’à l’entrée d’une petite forge. Là, deux hommes la maintiennent contre le mur tandis que l’homme lui impose un tatouage, signe qu’elle est courtisane. Ils la relâchent ensuite. Choquée, Solyane se tient l’épaule et rentre à la maison close où on la soigne, mais personne ne peut effacer cette trace indélébile. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à avoir subi ce genre d’agression, la plupart de ses collègues sont eux aussi marqués.
Puis, un soir d’automne en l’an 1571, alors qu’elle rentre à la maison close avec deux amies, une bande de voyous leur tombe dessus sans crier gare. Les deux autres filles tentent de se débattre, mais les hommes sont plus forts et commencent à les brutaliser pour s’offrir du bon temps, gratuitement. Révoltée, Solyane se jette sur eux telle un Croc-des-roches, toutes griffes dehors, et en met deux hors d’état de nuire avant de provoquer les autres pour qu’ils laissent ses camarades tranquilles ! Mais ils sont trop nombreux pour une femme seule, aussi grande soit-elle, alors elle se met à courir le plus vite possible et arrive sur une place dégagée. Il n’y a presque personne dans les rues à cette heure et les voyous la rattrape et se jettent sur elle. La jeune courtisane se défend de toutes ses forces, jouant des poings et des pieds pour se débarrasser des importuns. Elle est pourtant bientôt submergée par leur nombre et les coups s’abattent sur elle. Sonnée, elle s’écroule sur les pavés et n’entend pas les bruits de sabots qui se rapprochent.
Elle se réveille quelques temps plus tard dans un lit douillet. Le soleil a fait place à la pluie et un homme entre dans la chambre. Il se présente, il se nomme Belleas Konreydine, il est comte et c’est lui qui l’a sauvé. Impressionné par la combativité dont elle a fait preuve, il lui propose ni plus ni moins de vivre quelques temps auprès de lui. Gênée et méfiante au début, elle finit par accepter. Son bienfaiteur fait donc le nécessaire auprès de la maison close, récupère ses gages pour les placer dans un coffre-fort protégé qu’elle seule pourra ouvrir, et fait venir des professeurs particuliers pour lui apprendre à lire, à écrire, à se tenir en société etc…Quelque peu réticente au début, la jeune fille accepte finalement de se plier aux exigences de cet homme dont elle ne comprend pas les motivations. Plusieurs mois passent, elle retourne parfois à la maison close pour voir ses amies, mais passe le plus clair de son temps à étudier et à discuter avec Belleas. Celui-ci est veuf et n’a pas d’enfants, alors, tandis qu’ils se promènent dans la cour intérieure de sa villa, il lui propose de l’adopter, officiellement. Reconnaissante de tout ce qu’il a fait pour elle, la jeune femme lui saute au cou et accepte, profondément émue par sa générosité. Et ses vrais parents ? Solyane s’est fait une raison depuis longtemps. Cependant, elle a tout de même gardé précieusement le petit bout de tissu sur lequel sa mère a écrit son prénom.
Elle devient alors Solyane Konreydine et à l’âge de 18 ans, elle se présente pour devenir soldat dans l’armée Impériale. Après les exercices, les tests, les défis qu’elle relève sans ciller et qu’elle gagne la plupart du temps, elle obtient enfin le post, faisant déjà la fierté de son père adoptif. Pourquoi soldat ? Tout simplement parce qu’elle veut protéger les plus faibles, elle veut aussi prouver qu’une pauvre petite orpheline devenue courtisane est capable de choses aussi grandes qu’un enfant de sang noble ! Et surtout, elle veut montrer aux hommes que les femmes ne sont pas des êtres faibles et sans défense dont on peut abuser selon son bon plaisir. Ses collègues masculins en prennent d’ailleurs pour leur grade, croyant que le tatouage qui la marque la met dans la catégorie « fille facile ». Blasée, la jeune femme finit par se forger une épaisse carapace, elle se coupe les cheveux et s’habille comme un homme.
Mais elle ne souhaite pas rester simple soldat, dès qu’elle en a l’occasion, elle fait tout pour se démarquer, prenant des risques, visant le titre de chevalier que beaucoup d’hommes souhaitent atteindre. Prête à tout, elle accepte les missions les plus risquées, n’hésitant pas à prendre des initiatives. C’est ainsi qu’âgée de 20 ans, elle prend la tête d’une troupe de soldats envoyés pour débarrasser le royaume d’un groupe d’assassins fanatiques ayant fomentés plusieurs attentats contre des nobles proches de l’Empereur. Son sang-froid et son autorité naturelle lui permettent de faire tomber les chefs de façon méthodique. Ceux-ci et la plupart de leurs complices sont faits prisonniers et ramenés jusqu’aux geôles pour y être ensuite jugés.
En remerciement pour ce service rendu, l’Empereur lui accorde le droit de rejoindre son armée de chevaliers et l’adoube donc lui-même. A cette occasion, Belleas sent sa poitrine se gonfler de fierté. Il ne regrette pas un seul instant de l’avoir adoptée, elle a prouvé sa valeur et la prouvera encore, il n’en doute pas.
Depuis Lors, la jeune femme voue sa vie à la protection du royaume et de tous ses habitants. Elle est très reconnaissante envers l’Empereur et apprendre que sa femme est sans doute stérile la chagrine. La vie est parfois cruelle. Et certains de ses camarades chevaliers ne le sont pas moins. Elle prend alors un malin plaisir à leur faire mordre la poussière dès qu’elle en a l’occasion, leur rappelant ainsi qu’une femme a autant de valeur qu’un homme, sinon plus.
Les années passent tranquillement pour Solyane qui ne se repose pas sur ses lauriers, entre missions de reconnaissance ou autre, entrainement et réceptions organisées par son très cher père qui désespère de lui trouver un homme un jour. Elle les trouve toujours trop pompeux, suffisants, frivoles, grossiers etc…en tous les cas elle trouve toujours une raison de les repousser.
A 25 ans, la demoiselle est donc toujours célibataire et cela lui convient. Et comme tout le monde ou presque, elle s’inquiète de la situation en Félionia mais surtout de cette étrange étoile tombée du ciel.