An de grâce 1555, trente-deuxième jours du mois de l'eau,
" - Apportez de l'eau chaude et des linges propres gottferdom!!! "Deux servantes et le guérisseur du coin s'activaient au chevet de la Marquise de Nein Laird. Elle était grosse de six mois, mais on lui en aurait facilement donné trois de plus tellement son ventre était imposant. Son époux attendait dans la grande salle avec la belle-famille, faisant les cent pas, il se rongeait les sangs, ne pouvant réussir à avoir la moindre nouvelle de son épouse. C'était sa première grossesse et elle ne lui avait pas donné encore d'enfants depuis leur mariage il y a de cela deux ans. Tous deux étaient jeunes, il avait vingt ans, et elle en avait dix-huit, il se rassurait en se disant qu'elle était en bonne santé, mais quand même, ce ventre, ce n'était pas normal.
Survint le moment fatal où les cris de la future mère brisèrent le silence monacal de la demeure familiale des Nein Laird. Lorsqu'il se décida finalement à monter pour enfoncer la porte, et gare à celui qui l'en empêcherait, celle-ci s'ouvrit sur le guérisseur. Il avait les traits tirés et lorsqu'il leva ses yeux délavés vers le futur père, celui-ci crut qu'il allait mourir d'apoplexie tant il retenait son souffle. Il lui tapota l'épaule, un sourire fugace sur les lèvres avant de s'effacer avec les bonnes.
Là, allongée sur le lit, son épouse épuisée par les heures interminables de lutte pour essayer de donner la vie. Ses cheveux en bataille, poisseux de sueur, lui collaient au front, mais elle avait les airs d'une sainte. Accrochée à ses seins, qu'elle ne fut pas sa surprise en découvrant l'inimaginable. Deux petits corps enveloppés dans des linges pour les préserver des écarts de température tétaient goulument.
Tous deux avaient un léger duvet blanc sur le crâne. Ils semblaient si fragiles. Heureux, comblé et rassuré, il tomba à genoux aux côtés du lit, serrant délicatement la main de son épouse dans la sienne. Elle venait de lui offrir le plus beau de tous les présents. Un héritier et une héritière.
An de grâce 1559, septième jour du mois du Vent,
“ - Armin, Namira venez par ici les enfants, nous allons aller prendre l'air dans le parc. ”Lami, la nourrice, emmenait régulièrement les jumeaux respirer l'air pur de l'extérieur. Elle disait souvent qu'il n'était pas bon pour des enfants de rester enfermer. Aussi, deux heures par jour, elle leur imposait cette sortie. Si pour Armin, c'était toujours une corvée, il n'en était rien de Namira. Elle semblait apprécier au plus au point chacune de ses sorties.
Ce jour-là, il faisait beau, un soleil d'or et un ciel d'azur sans le moindre nuage à l'horizon. Le temps était frais, et les enfants portaient leur capeline de laine perle ce qui mettait leur chevelure d'argent en relief. Lami était réellement fière de ses deux bambins, ils étaient vifs et éveillés. Tout deux marchait parfaitement et faisait des phrases construites même si la jeune héritière n'était pas d'un naturel loquace, son frère se chargeait bien volontiers de tenir une conversation pour deux.
Assise dans le champ de fleurs de prés, elle les regardait jouer tranquillement jusqu'à ce qu'Armin recule avec une expression de frayeur sur le visage.
“ - Armin mon enfant que ce passe t-il ? ”Il ne répondait pas ne pouvant détacher ses yeux de la silhouette de sa sœur. Alertée, la nourrice se redressa et en quelque foulée rompue la distance entre eux.
Ce qu'elle vit la terrifia. Sous les pieds de la demoiselle et dans ses pas, les herbes avaient poussé, les fleurs avaient éclos. Namira leva vers elle ses grands yeux imperturbables ce qui lui glaça l'échine. Elle si souriante et pleine de vie, venait de se transformer en bloc de glace. Par réflexe, elle attira Armin contre son sein et partit en courant jusqu'à la demeure familiale avec l'héritier pour alerter ses maîtres.
An de grâce 1560, trente-deuxième jour du mois de l'Eau,
L'ambiance avait totalement changé dans la demeure des Nein Laird depuis le jour fatidique où la jeune fille de la famille avait fait la découverte de ses dons. Son frère, son propre jumeau l'avait totalement répudié, il avait scellé ces paroles en se faisant couper les cheveux très courts pour ne plus ressembler à sa sœur - bien qu'il est les yeux d'une couleur différente - quant aux parents de l'enfant, ils restaient présent mais semblaient éviter de rester trop longtemps dans la même pièce qu'elle. Même Lami sa nourrice avait arrêté de s'occuper d'elle. Une bulle de silence et de crainte, c'était former autour d'elle.
Bien que tout soit changé, il restait qu'aujourd'hui était un jour spécial, on avait fait préparer deux gâteaux pour l'occasion, la famille avait refusé d'être en présence de l'enfant dont les dons étaient incontrôlables, il n'y avait donc que ses parents, son frère et quelques domestiques.
“- Mangez mes chers petits, mangez, vous devenez, de plus en plus, grands. Il me semble que c'était hier que votre mère vous avait mise au monde et que je vous tenais dans mes bras tous deux. ”BAM BAM BAM
On tambourinait à la porte. Le silence s'était fait dans la salle à manger, alors qu'une servante s'effaçait pour laisser un homme d'une grande stature, capuchonné de brun de la tête aux pieds, entrer. Son manteau frôlait les dalles de pierres taillées tout en laissant un fin filet d'eau dans son sillage. Son bâton de marche rythmait chacun de ses pas jusqu'à la table où tous les protagonistes semblaient avoir retenu leur souffle. Dame Nein Laird avait enserré le poignet de son époux et lui lançait un regard plaintif alors que celui-ci avait posé sa main sur la sienne se voulant rassurant.
“- Bienvenu voyageur à qui avons-nous l'honneur ?
- Mage Gordon Kamu. Vous savez, je suppose, pourquoi je me trouve ici Marquis Nein Laird ?
- ... Je le crains oui. Pourriez-vous attendre que nous terminions leur repas d'anniversaire ? Peut-être voulez-vous vous joindre à nous ?
- Volontiers. ”Le mage s'était installé à côté de Namira qui l'observa un instant de ses grands yeux d'or, comme si elle essayait de le sonder, avant de couper une tranche de son gâteau et de la mettre sur un morceau de papier puis de le tendre au Mage. Pour la première fois depuis pratiquement un an, une personne avait consenti à s'asseoir à ses côtés. Elle ne manifesta pas pour autant une quelconque expression de joie et mangea silencieusement le reste de son dessert. Une fois terminé, elle se leva, demanda poliment à sortir de table et rejoignit le jardin après avoir enfilé sa cape. C'était pour elle un des seuls endroits où elle se trouvait en sécurité.
Dans la salle, une fois que Armin fut sorti, l'atmosphère ne fut plus du tout la même. Bien que Gordon n'élevât pas la voix, le ton était donné et fortement perceptible.
“- Votre enfant a été béni des dieux et c'est ainsi que vous la traitez ?
- Je ne vous permets pas ! Elle n'a jamais manqué de rien !
- Juste de la chose la plus essentielle pour la croissance d'un enfant...D'amour. Vous la fuyez!
- Je, vous en prie ne prenez pas ma fille !
- Je suis désolé Marquise, mais je suis là pour elle, pour l'aider et pour la guider.
Si vous le désirez je peux vous dédommager en vous versant un tribut.
- Il ne s'agit pas de cela Mage Kamu, c'est ma fille.
- Désolé. ”
La main de son époux se posa sur l'épaule de sa femme qui tourna vers lui un regard à la fois furieux et suppliant. Il la prit dans ses bras tout en inclinant la tête à l'adresse du Mage.
“- Quand comptez-vous l'emmener?
- Demain, je remonte dans les terres de Shana. Je la prendrai donc avec moi pour la conduire à la Tour des Mages. ”An de grâce 1560, trente-troisième jour du mois de l'Eau,
Le cheval du Mage avait été sellé, un autre avait été préparé avec des vivres et les quelques affaires de la petite, indispensables pour le voyage. C'est-à-dire quelques affaires de rechanges et quelques pièces pour les aider dans leur voyage. Lorsqu'elle sortit de la maison, elle était toute vêtue de blanc, une hermine aux yeux de miel. Lorsqu'elle posa son pied sur le sol meuble, la terre sembla gronder faisant écho aux réels sentiments de l'enfant. Elle regarda sa famille tasser les uns contre les autres sur les marches de granite. Son frère n'avait même pas daigné sortir pour lui faire ses adieux.
De nouveau, la terre gronda, faisant piaffer les deux équipés. Elle porta son attention sur cet homme qu'elle ne connaissait que de la veille qui lui tendait la main. Cette main tendue qui signifiait alors tellement pour elle. Lentement, les grondements diminuèrent jusqu'à cesser lorsque ses doigts furent emprisonnés dans ceux du mage, qui la souleva du sol pour la poser sur son cheval.
“-Yah! ” Ce fut la dernière image de la petite Namira que ses parents gardèrent en mémoire.
An de grâce 1572, vingtième jour du mois de la Foudre
Les couloirs étaient bien agités pour une fin d'après-midi. Les cours n'étaient pas encore tous terminés. A dix-sept ans maintenant, elle avait pratiquement achevé sa formation. Bien qu'elle eut appris à maîtriser l'eau et la foudre par-delà en passant outre son domaine de prédilection, il lui restait encore à perfectionner sa maîtrise du vent et à comprendre celle du feu. Elle n'était jamais avare de travail et cherchait toujours la perfection, aspirant un jour pouvoir devenir une archimage, aussi il n'était pas rare de la voir à des cours supplémentaires ou déambuler du côté de la bibliothèque comme ce jour-ci.
Une jeune fille se faisait malmener par deux apprentis. Ses affaires avaient été éparpillées par certains. La pauvre essayait tant bien que mal de récupérer un Nulith qui était maintenu en l'air. Un spectacle déplorable qu'elle trouvait toujours déplacé dans ce havre de savoir et de connaissance. En temps normal, elle aurait passé son chemin, contournant ce spectacle déplorable par les arches, mais l'un des deux faquins avait décidé de mettre feu aux notes.
Sans prévenir, une douce pluie fine s'abattit sur les deux troubles fêtes, étouffant dans l'œuf le début d'incendie. D'un pas lent et calme, elle traversa le couloir où ils se trouvaient. Le calme était désormais maître des lieux. Elle tendit la main en direction de l'animal effrayé et celui-ci sembla descendre lentement jusque dans les mains de la jeune demoiselle.
Par-dessus son épaule, elle jeta un regard presque méprisant aux deux adolescents, laissant le silence s'épaissir d'avantage.
“- Votre nom et celui de votre maître référent. ”La voix était calme, mais le ton autoritaire qui ne souffrait aucun commentaire.
“ - Apprenti Ran sous la tutelle de Maître Stern
- Apprenti Maskarr sous la tutelle de Maître Santo”Le temps qu'elle passa à les observer sembla incroyablement long. Son regard semblait les juger et les condamner purement et simplement.
“- Vous devriez avoir honte de vous. J'en référerai à Maitre Stern et Maître Santo. Si vous avez ne serait-ce que le moindre problème, je vous conseille de venir me voir directement. ”Un dernier regard de glace avant qu'elle ne se tourne vers la jeune fille.
“- Quel est ton nom ?
- Apprenti Rafaël , sous la tutelle de Maître Santo[/color]
- … Fais attention à toi. La vie n'est pas simple, même à la Tour des Mages. Ramasse tes affaires et retourne en cours. ”Sans un regard de plus ni même un sourire elle reprit sa route avant de disparaitre derrière les portes de la bibliothèque.
An de grâce 1573, premier jour du mois du Feu
Depuis le temps qu'elle était à la Tour son Maître lui avait proposé de nombreuses fois de retourner voir sa famille mais elle avait toujours décliné poliment. Le Mage Gorgon Kamu s'en chargerait parfaitement. Elle savait qu'il passait de temps à autre donner des nouvelles à ses parents. Aujourd'hui pourtant elle devait sortir et prendre son propre envol. Bien qu'elle soit formée à cela, elle ressentait une forme d'appréhension. Serait-elle assez talentueuse pour se rendre utile? Où allait-elle aller en premier.
La main de son maître s'apposa sur son épaule et le calme revint dans son cœur. Elle lui offrit un de ses trop rares sourires en inclinant la tête
“- Êtes-vous sur Maitre Loire que c'est le bon moment pour moi?
- Mettrais-tu mon jugement en doute ?
- Loin de moi cette idée mais… ”Il lui prit le menton entre le pouce et l'index pour l'obliger à lever la tête vers lui et à le regarder dans les yeux. Depuis le temps qu'il la côtoyait il savait lire entre les lignes.
“- Je ne peux te garder dans cette tour comme un oisillon fragile. Il est temps que le monde profite de tes dons.
- Mais où aller?
- … Chez toi. Sois en paix avec toi-même avant d'entreprendre quoi que ce soit.”Il l'aida à grimper sur son cheval, puis lorsqu'elle se pencha vers lui, il déposa un chaste baiser sur son front.
“- Vas mon enfant, vis et épanouie-toi.”Elle chevaucha longtemps, traversant le Duché de Grenat où elle trouva l'hospitalité chez le Mage Stern Edeslstein qui l'accueillit avec chaleur durant un temps avant de reprendre la route pour longer la frontière de la Capitale et rejoindre enfin la Crête d'Igna où se trouvait la demeure familiale.
Les Nein Laird avaient laissé partir une enfant d’à peine cinq ans et c'était une jeune femme de dix-huit ans qui leur revenait.
Le cheval se cabra légèrement lorsqu'elle tira sur les rênes pour l'arrêter dans la cour. Avec l'aide d'un écuyer qui lui était inconnu elle descendit de son coursier, sa robe bleu pâle caressait ses chevilles laissant voir des bottines de même couleur, sur sa tête une cape écrue à capuche. Elle rejeta d'ailleurs cette dernière en arrière pour profiter des rayons bienfaisants du soleil. Elle huma profondément l'air emplissant ses poumons de senteurs de son enfance.
“- Ma Dame, qui dois-je annoncer?
- La Mage Namira.”Le serviteur la dévisagea un instant, bien sûr que ce nom lui disait quelque chose, après tout, il l'avait entendu un nombre incalculable de fois chuchoter dans les couloirs.
Si le Marquis et la Marquise étaient heureux de retrouver la fille ou plutôt la Mage qu'elle était devenue, et donc le prestige pour la famille, il en était bien autre chose pour son frère.
“ - Tu comptes rester longtemps ici?
- … Aussi longtemps qu'il me plaira mon frère.
- Je ne suis pas ton frère et tu n'es plus chez toi ici, lanceuse de sorts!
- Tu n'as pas changé Armin, de quoi as-tu donc peur? Que je te change en crapaud?
- Ca et d'autres choses.
- Arrête frère, je pourrais être tentée…”Il frissonna avant de lâcher un chapelet d'insultes à faire rougir une horde de flibustiers. Si seulement il avait su que cela lui était impossible, leur entrevue ne se serait sans doute pas passée ainsi. Belles retrouvailles!
An de grâce 1581, mois du Vent
Après avoir officié le Duché d'Ylliss, d'Amecar et de Numis, Namira, décida de partir en quête d'autres gens à aider sur les Terres du Duché de Turquoise. Il est vrai que ce n'est pas sa seule raison, ayant entendu parler de l'Arche elle était curieuse d'y rencontrer ses autochtones, ses êtres venus des étoiles. Peut-être que le Duché de Turquoise y réserverait bien d'autres surprises à moins qu'elle ne continue sa vie d'errance, bien que le Nord ne souffre pas des récentes attaques des Harpies.
Ces créatures étaient de retour et il était sans doute préférable de rester là où on était susceptible d'avoir besoin d'elle.