HISTOIRE
1542. Dans la petite Baronnie d'Edel, sise juste au pied des flèches blanches, un heureux évènement vient d'avoir lieu alors que la baronne Vetras donne naissance à son premier fils. Un terrible orage frappe le castelet cette nuit-là, mais les parents sont trop heureux pour s'en soucier.
Eldwyn a grandi avec bonheur dans son foyer, petite baronnie presque à l'écart des remous de la vie politique talréane, rejoins bien vite par une sœur et un frère. On lui enseigne les manières raffinées de la noblesse, car même si la baronnie est éloignée des turpitudes de la cour, il n'en est pas moins essentiel que le futur baron soit en un gentilhomme.
Le climat est rude à Edel, mais il y a peu de bandit, et il pouvait se permettre de courir à loisir après les cervièvres, tant qu'il restait à l'écart des montagnes, réputées peuplées de prédateurs.
L'année de ses 7 ans, ses parents décident qu'il est temps que leurs enfants contemplent les splendeurs de Tilesse. Ils affèrent donc le carrosse, et préparent le long voyage qui les mènera tous les cinq jusqu’aux splendeurs de la capitale. Eldwyn ne se tient plus de joie, et ne cesse de se disputer avec son frère Orkan pour savoir si ils verront l'empereur Sidus.
Le voyage était prévu pour durer près de 10 jours, une éternité pour trois enfants turbulents dans une calèche trop lente, et ils devaient fréquemment s'arrêter pour qu'Eldwyn, Naliah et Orkan puisse se dégourdir les jambes et laisser à leurs parent quelques instants de repos.
Ils n'étaient qu'a deux journées de Tilesse quand l'attaque survint. Les enfants étaient partis jouer, profitant d'un temps clément et d'une forêt touffue, accompagnés de trois gardes qui, s'ils soupiraient beaucoup, ne pouvait dissimuler dans leur regard leur fierté devant les trois galopins.
Ils entendirent des cris, mais le temps de rassembler les enfants apeurés et de se frayer un passage dans les fourrés, ils ne purent que constater le massacre. Son père, le baron, était mort l'arme à la main en défendant sa femme, et les corps des six gardes restants jonchaient la route. Une poignée de bijoux, quelques pièces, un maigre butin, mais une perte terrible pour trois orphelins. Les bandits n'avaient pas attaqués sans dommage, cependant, et les gardes restant en vinrent aux dernières extrémités pour tirer le nom de leur chef. Sven la hache. Le torse ouvert de la baronne Vetras ne rendait que trop flagrant l'origine de ce sobriquet.
Ce fut un convoi endeuillé qui franchi les murs de Tilesse, les enfants serrés les uns contre les autres dans un carrosse maintenant trop grand, les corps sans vie de leurs deux parents précautionneusement déposés sur le toit. Les gardes décédés pendant l’attaque avaient été rapidement enterrés à l’écart de la route, quelques planches en bois faisant une tombe sommaire pour les vaillants défenseurs.
La noblesse de la capitale fut particulièrement émue par le sort du baron et de sa femme, et la cérémonie funèbre eut lieu dans le grand temple de la Lune de Tilesse. Nombreux furent les nobles de la capitale à se presser à l’enterrement, pas tant que le baron fut particulièrement connu, mais plus par compassion envers cet affront fait à la noblesse. Au premier rang, à côté de son frère et de sa sœur, Eldwyn contemplait les deux cercueils qui contenait ses parents, et sous la peine et le chagrin qui l’accablaient, sourdaient une colère irrépressible.
Des personnes au second rang jurèrent avoir vu les longs cheveux blonds de Naliah se relever et crépiter légèrement, juste avant que la foudre ne s’abatte deux fois violemment sur le temple, mais sans causer de dégâts. Certains virent cela comme un présage, un message de Ryna et Rany, mais sans dire s’il était néfaste ou non. Les mages présents dans l’assistance, eux, surent immédiatement de quoi il s’agissait : un nouveau fulgimancien allait rejoindre la tour. L’accord fut pris rapidement : Orkan pouvait hériter du domaine, et le vieil intendant serait son tuteur jusqu’à sa majorité.
Eldwyn partit donc pour la tour, dans des adieux déchirants avec son frère et sa sœur, perdant la même semaine l’ensemble de sa famille, du moins à ses yeux. Il resta maussade toute la première année, inquiétant ses professeurs, malgré des facultés d’apprentissage évidente. Puis, petit à petit, tel une fleur qui éclot, il se prit d’appétit pour les connaissances arcaniques. Il manifestait un don très puissant pour la manipulation de la foudre, et à 13 ans déjà il manipulait également avec aisance l’air et l’eau. Il continuait son apprentissage avec assiduité, prenant de l’assurance, jouant des tours pendables à ses camarades, mais malgré une capacité impressionnante dans ces trois éléments, le feu et la pierre semblaient se dérober à lui.
A 17 ans, il était au dire de ses professeurs prêt à devenir un des plus jeunes archimages de la tour, mais le conseil jugeait qu’il manquait d’expérience, et son manque de maîtrise de deux éléments semblait discriminatoire. Il prit assez mal cette rebuffade, son orgueil gonflé de la puissance de ses dons et des éloges reçus, et choisis la voie de l’itinérance, espérant ainsi montrer à tous ses capacités, et éventuellement acquérir ces maîtrises qui lui manquaient.
Pendant deux ans il écuma les routes, parcourant Talrëa de long en large, dispensant ses pouvoirs pour aider autrui, et bien souvent pour épater la galerie. Il se trouvait alors dans la partie la plus méridionale de la crête d’igna, goûtant un repos bien mérité dans la taverne du village de Roche-rouge, quand il entendit des paysans parler d’un bandit qui terrorisait la région, du nom de Sven la hache.
Ce nom résonna brutalement dans l’esprit d’Eldwyn, ramenant de bien triste souvenirs à sa mémoire, et une colère brûlante comme la foudre. Le soir même il arpentait les contreforts de la crête, à la recherche des bandits.
Et il finit par les trouver. Ce soir-là, une tempête telle que jamais le village de Roche-rouge n’en avait connu éclata, la foudre martelait la montagne comme si elle voulait la détruire, les vents soulevaient le chaume des maisons, et la pluie tombait si fort qu’elle obscurcissait la vue. Les éléments déchaînes continuèrent jusqu’au petit matin, et sur la crête, Eldwyn contempla les ruines fumantes de ce qui restait du camp. Des bandits calcinés jonchaient le sol, les cabanes avaient été soufflées, et la pluie entraînait doucement les débris en bas de la pente.
Pris d’un vertige, le mage tomba au sol, quasiment vidé des efforts de la nuit, sa colère lavée en même temps que le camp, un étrange gout amer dans la bouche à la vue du massacre qu’il venait de commettre. Que ce soit par l’effort ou suite aux puissances déchaînées, ses cheveux étaient devenus intégralement blancs, et sa peau elle-même semblait délavée. Il se reposa longuement, les cris de ses victimes raisonnant encore dans sa tête. Alors que le soleil atteignait son zénith, il amorça sa descente vers le village.
Ou plutôt ce qu’il en restait. Toute la nuit, l’eau avait ruisselé sur le flanc de la montagne, et les vents violents avaient couchés les quelques arbres qui auraient pu retenir la terre. Un glissement de terrain avait emmené la moitié du village, et ses habitants avec lui. Seules les lamentations l’attendaient en bas, rapidement suivi de la haine quand les villageois comprirent qu’il était responsable. Atterré devant son forfait, Eldwyn quitta précipitamment la scène de son crime, broyé par le remord.
Sa fuite dura deux mois, avant que les traqueurs de la tour ne le retrouvent. Il se rendit à eux docilement, dès qu’il sût qu’il était recherché, et fut enfermé pendant quatre longues années, une sentence bien faible à ses yeux, mais il fut jugé pour sa négligence plutôt que pour une réelle intention de nuire.
Une fois sa peine purgée, Eldwyn quitta la tour. Il masqua son visage, à la fois pour cacher ses cheveux blancs, signe distinctif pour ses anciennes victimes, et pour dissimuler sa honte, qu’il sentait ramper sur sa peau. Vêtu d’une robe, un bâton à la main, il descendit dans les bas-fonds de Tilesse, aidant les gens quand il le pouvait, gagnant de quoi manger à la sueur de son front, limitant au mieux son usage de la magie. Il refusait tout égard, toute compensation élevée, aidant souvent les plus démuni en échange d’un sourire ou d’un toit pour la nuit. Certain des services qu’il rendit lui coûtèrent plus que d’autre : une association malencontreuse avec un inventeur qui souhaitait utiliser le pouvoir de la foudre pour alimenter une machine étrange lui brûla sévèrement les mains, lui laissant la preuve visible que les inventeurs étaient dangereux.
Cela fait plus d'une quinzaine d'années maintenant qu’il vit là, et les habitants le connaissent. Le surnom de maître des tempêtes, murmurés avec crainte à Roche-rouge, l’a suivi à Tilesse, sans qu’il ne sache comment, mais ici il est teinté d’un certain respect.
Il y a peu de temps, une étoile est tombée du ciel, loin au nord. Peut-être est-ce un signe qu’il doit reprendre sa route. Une chose est sure, on murmure en ville que c’est un signe de grand changement…